Cuisiner en 1542

La révolution du Quattrocento ?

Cuisiner était-il tout art dans les châteaux de la Loire? Livres de cuisine, écrits sur les bonnes manières et ustensiles nous en disent davantage

Arts, architecture, sciences… À la Renaissance française, tous ces domaines, influencés par le Quattrocento (première Renaissance italienne), font leur révolution. Mais qu’en est-il de l’alimentation ?

« Dans les préparations culinaires de la Renaissance, il n’y a pas de rupture avec le Moyen Âge. Alors qu’il existe plusieurs manuscrits culinaires pour le Moyen Âge, c’est la seule source dont nous disposons. »

Loïc Bienassis, historien à l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation, parlant du Livre fort excellent de cuysine, publié en 1542.

Epices, sucré-salé et gibiers

Au fil des pages du précieux ouvrage, un premier constat s’impose : l’utilisation des épices en provenance d’Inde et d’Afrique, comme les clous de girofle, la cannelle ou le poivre, se perpétue au fil des siècles, « non pas pour masquer les viandes faisandées, comme on peut le lire parfois, mais par goût », précise Loïc Bienassis, et comme marqueur social.
Les épices, compte tenu de leur prix élevé, représentent également pour les aristocrates un moyen de marquer leur rang, de se distinguer, même si de nouvelles voies maritimes les rendent alors plus abordables. Autre élément persistant : le mélange sucré-salé, sur lequel reposent bon nombre de recettes.

À table, les traditions culinaires sont tenaces. Chez les aristocrates, on continue à se délecter de viande rôtie, de gibier et de volaille, avec un goût prononcé pour les préparations en tourte, en croûte ou en pâté. Une nouveauté, importée d’Amérique, fait cependant irruption vers 1530 : la dinde. C’est du reste le seul produit comestible du Nouveau Monde à s’être imposé à la Renaissance, l’essor de la tomate et de la pomme de terre n’ayant véritablement eu lieu qu’au XVIIIe siècle.
Dans les couches populaires et paysannes, l’alimentation est moins carnée, on mange principalement du pain, des galettes et des bouillies de céréales, mais aussi des fruits et légumes, comme le chou, les poireaux et les carottes.

Saveurs aigres-douces

Malgré cette continuité avec le Moyen Âge, des évolutions sont en cours. À commencer par l’utilisation massive du sucre, qui devient un produit de consommation courante après avoir été utilisé par l’aristocratie ou pour un usage thérapeutique.

« On ne s’en est jamais autant servi, y compris avec des ingrédients acides, comme le verjus, le vinaigre ou le vin, au point que les saveurs aigres-douces culminent à la Renaissance », observe Loïc Bienassis. Au même moment, les épices et les fruits vont être confits et la confiture fait son apparition."

Dans les recettes, le beurre va monter en puissance, comme nous l’apprend le Livre Fort excellent de cuysine. On l’utilise pour la préparation des plats maigres (poissons, légumes et oeufs). Quant aux fruits et aux légumes, jusque-là délaissés par les élites parce que consommés par les paysans et donc indignes de leur rang, ils suscitent l’engouement.
L’artichaut devient à la mode, tout comme l’aubergine, l’asperge, le choufleur  ou encore le concombre et le melon, que l’on fait pousser dans les jardins royaux.
« Mais tout ceci n’est pas dû à Catherine de Médicis, comme on le lit très souvent, conclut Loïc Bienassis. On lui prête d’avoir révolutionné la cuisine, d’avoir importé la pâte à chou, les liqueurs, les glaces, la fourchette, etc. Ce ne sont que des légendes apparues au XVIIIe siècle. ».
Ce qui n’a rien d’une légende, en revanche, et perdure jusqu’à nos jours, c’est le goût des Français pour la bonne chère.

Dîner offert à Catherine de Médicis par la ville de Paris en 1547

Brouet de canelle – Potage à la bisque de pigeonneaux
Huîtres frites – Grenouilles – Hochepot
Crêtes et rognons de coq aux fonds d’artichaut
Salmis de hérons – chapons hachés
Grues et troubles rôtis - Paons flanqués de cygnes
Rognons au fenouil - Rille à la garbure gratinée à la purée de noisette
Petits poulets au vinaigre - Cochons et rennerons rôtis
Myrobolants confits – Moëlle de boeuf au sucre candi
Gelée de boeuf au vin d’Alicante
Aigles rôtis - Poires à l’hypocras
Bécasses et perdreaux aux truffes
Oublie – Échaudés – Poussins à l’orange

Extrait de Chambord-des-Songes publié en 2019, Charles Dantzig

Les arts de la table et les manières

La Renaissance aura été marquée par l’apparition de l’assiette moderne. Le tranchoir ou tailloir, où l’on posait les aliments prédécoupés au Moyen Âge, cède sa place à ce nouvel instrument, en métal ou en céramique, qui est en fait un tranchoir aux bords relevés. La fourchette à deux ou trois dents semble aussi se diffuser comme couvert individuel.

Pour autant, elle reste considérée par le clergé comme un instrument du diable, car permettant de se laisser aller au péché de gourmandise, si bien que son usage ne se généralisera qu’au XVIIIe siècle. La manière de manger évolue également. Dans son ouvrage De l’éducation des enfants, Erasme de Rotterdam expose des règles qui connaîtront un large écho dans la société de cour.

Exemple : « Il est discourtois de lécher ses doigts graisseux ou de les nettoyer à l’aide de sa veste. Il vaut mieux se servir de la nappe ou de la serviette. » Ou encore : « Ne plonge pas le premier tes mains dans le plat que l’on vient de servir : on te prendra pour un goinfre… »